Nous nous retrouvons après plus d’un mois d’absence depuis le premier article consacré à notre dossier sur la gestion de crise dans le jeu vidéo. Souvenez-vous, nous avions parlé des jeux retardés et de la gestion de crises qu’ils entraînent.
Partie 1 : La gestion de crise en community management dans l’industrie du jeu vidéo
Aujourd’hui, nous nous concentrerons sur les « bad buzz » et les erreurs de communication. Comme nous allons le voir, il y a énormément de facteurs qui peuvent attirer les foudres des consommateurs (publicités mensongères, annonces maladroites….).
Nous somme en pleins dans l’actualité puisque le 05 décembre, nous avons appris qu’une fuite au niveau du support clientèle du jeu Fallout 76 a permis aux joueurs d’avoir accès à des infos sensibles d’autres joueurs (adresse, numéro de téléphone, et information de paiement). Ainsi, la seule réponse à cette heure de l’éditeur est un poste forum disant : “Hey, c’est bon les gars, nous avons réglé le problème”.
Comme nous allons le constater; ce type de problème est récurrent dans le jeu vidéo, et les maladresses de communication ne font qu’empirer les problèmes. Nous ne manquerons pas de contenu pour explorer ce thème des problèmes de communication. Nous allons donc décortiquer ensemble au travers de 3 grands exemples, les différents types de problèmes, pourquoi ces crises surviennent-elles et les méthodes utilisées par les équipes de communication.
Le jeu vidéo Diablo immortal : L’annonce maladroite
Cet exemple est tout récent puisqu’il date de la Blizzcon 2018 (salon annuel de l’éditeur Blizzard). A cette occasion, l’éditeur américain annonce devant un parterre de journalistes de jeux vidéo PC un nouveau titre… mobile.
Alors que tout le monde attendait avec impatience l’annonce de Diablo 4 (le 3eme opus étant sorti il y a plusieurs années), l’éditeur s’est contenté d’annoncer un jeu que personne n’attendait ni ne voulait. Mais au-delà de cette dissonance entre les attentes des journalistes / joueurs et la réalité, c’est tout la communication qui a tourné au désastre.
Wyatt Cheng, un des designers de la franchise est appelé sur scène et commence à parler de Diablo. Tout allait bien bien, jusqu’au moment où ce dernier commence à parler du mobile. Après un trailer qui ne suscite que très peu d’enthousiasme de la part du public, le pitch du designer continue dans l’indifférence générale. Au moment où la gêne devient omniprésente, une personne du public demande s’il s’agit d’un poisson d’Avril. Et quand on pensait qu’il était impossible de tomber plus bas, à la question “Ce jeu sera-il-jouable également sur le PC ?” l’intervenant, extrêmement gêné, répond que non.
S’ensuit une vague de huet, puis il perd complètement pied, en demandant au public ‘vous avez tous des smartphones non ? Ce moment a tellement fait le tour du web qu’il en est devenu un meme. Le ratio pouce bleu / pouce rouge du trailer est devenu l’un des pires pour une annonce de cette ampleur (19k contre 273k).
Je vous invite à regarder par vous même cette présentation. Vous y trouverez un condensé de tout ce qu’il faut absolument éviter lorsqu’on souhaite présenter un nouveau produit. Une fois le malaise digéré, que pouvons-nous apprendre de cette performance ?
Tout d’abord, connaître son audience est fondamental. Ainsi, en proposant un produit qui n’était pas destiné à son audience, blizzard s’est tiré une balle dans le pied. Les équipes de communication n’auraient jamais dû choisir cette événement pour annoncer ce produit.
Il est fondamental de bien connaitre son audience, dans un milieu comme le gaming où les fans sont très engagés.
De plus, faire une séance de questions / réponses, c’est se risquer aux remontrances d’une audience qui paraissait déjà peu réceptive au produit. Au-delà du simple bad buzz, cette annonce a eu des effets catastrophiques pour la société, car son action en bourse a perdu près de 6 points.
Les communautés Blizzard à la merci des fans
En ce qui concerne la gestion de sa communauté, il est intéressant de noter que la section commentaire n’a pas été fermée sur cette vidéo. Les équipes en charge des réseaux sociaux chez l’éditeur ont fait le choix d’assumer, et de ne pas empêcher les gens de s’exprimer. Cela peut se comprendre, mais avec une modération service minimum, la section commentaire de la vidéo youtube est devenu une zone de dénigrement pur et simple.
Un des top commentaire résume bien la situation actuel : « Oui j’ai bien un smartphone. Je vais maintenant m’en servir pour ajouter un pouce rouge à votre trailer. Vous êtes content ?”. Dans ce type de cas, on peut clairement envisager de désactiver l’option “les utilisateurs peuvent afficher les avis laissés sur cette vidéo”. Blizzard a suivi la même démarche sur la page Facebook du nouveau jeu, qui depuis sa création a été conspuée et n’est remplie que d’avis négatifs.
Cette page n’est suivi que par 5000 personnes, ce qui en termes de conversion est extrêmement bas en comparaison des 3 millions de la page de sa grande sœur : Diablo. La note du jeu sur la page (qui n’est pas sortie) est déjà à 1.9 sur 5. Le contenu y est extrêmement générique, sans réelle information ou volonté de partager quoi que ce soit.
Ceci étant dit, même si la situation paraît critique, mais elle n’est pas perdue pour autant. On souhaite bonne chance aux community managers qui gèrent les pages de ce jeu et qui ont la lourde de tâche de rattraper un départ aussi catastrophique.
Hitman Absolution : La Facebook app de mauvais goût
Pour cet exemple, remontons un peu dans le temps, en 2012 pour être exact. L’éditeur Square Enix s’apprête à sortir son nouveau jeu : Hitman absolution.
Afin d’accompagner la sortie du jeu, une application est créé spécialement à cette occasion. Créé par une agence marketing externe (Ralph), cette application avait pour but de, je cite “proposer une expérience vidéo permettant aux fans de mettre un “contrat” sur la tête de leurs amis Facebook”.
La série des Hitman étant des jeux de tueurs à gages, cela s’inscrit parfaitement dans cet univers. Néanmoins, les personnes en charge de cette application Facebook, ou ceux en charge de la validation ont commis une grosse erreur.
En effet, l’application permettait aux utilisateurs qui mettaient un contrat, de désigner leurs amis par des caractéristiques physiques.
Ainsi on pouvait qualifier ses amis avec des qualificatifs très douteux dans la langue de Shakespeare comme ““Her small tits” or “His tiny penis”.
Les critiques ont été immédiates de la part des utilisateurs visés et cela peut se comprendre aisément. Imaginez ouvrir votre profil Facebook, accessible de tous, et vous voir identifier de caractéristiques physiques liés au sexe. Ainsi, quelques heures après le lancement, l’application a été retirée de Facebook et Square Enix s’est excusé et a publié un message d’excuses (traduit par mes soins) :
Message d’excuse de Square Enix
“Plus tôt dans la journée, nous avons lancée une app basé sur Hitman Absolution, qui vous permettait de placer un contrat virtuel sur la tête de vos amis Facebook. Ces derniers étaient visibles par vos amis et pouvaient également être envoyés à d’autres amis en commun. Nous étions à côté de la plaque avec cette application et suite aux commentaires de la communauté, nous avons décidé que la meilleure chose à faire était de la supprimer complètement et rapidement. C’est maintenant chose faite. Nous nous excusons pour la gêne occasionné.”
Les leçons à tirer lors de ce lancement
Quelle leçon retenir de cet épisode ? Tout d’abord, j’aimerais mettre en avant le fait qu’il s’agissait d’une agence externe qui s’est occupé de cette opération. Ainsi, on peut supposer qu’il y a eu un gros problème de validation. A savoir si la faute incombe à l’éditeur ou une initiative personnel de l’agence, nous le ne le saurons jamais malheureusement.
Néanmoins on peut souligner la réactivité de Square Enix, qui à su prendre une décision douloureuse mais qui s’imposait d’elle même en quelques heures. Il n’est jamais facile de devoir arrêter une app ou une campagne au vu des coûts engendrés pour sa création. Néanmoins c’est une décision qui doit être prise quand un problème peut vous nuire et risquer de corrompre l’ensemble de votre communication ou produit.
A l’heure ou la protection des données est un sujet sensible et la question des critères touchant à l’ethnie, la religion ou autres ont donné lieu à des polémiques et procès, difficile d’imaginer un cas comme celui- ci en 2018. Le contexte en 2012 était différent et les app Facebook était un très bon moyen pour susciter de l’engagement dans une campagne marketing.
Mais à trop vouloir jouer la carte de l’irrévérence, on finit par se brûler.
Bethesda : Quand une marque n’écoute pas sa communauté
Pour cette étude de cas, je vais devoir vous parler d’une pratique propre au jeu vidéo : le modding. Il s’agit d’une activité qui consiste en une modification du jeu original, sous la forme d’un greffon qui s’ajoute à l’original, le transformant parfois complètement.
Ces “mods” sont le plus souvent proposé par des joueurs de la communauté d’un titre. Cette pratique a été popularisée depuis la sortie du jeu Doom et ne cesse de se développer. Ainsi en 2015, Bethesda (un éditeur) et Steam (la plateforme de distribution de jeux de la société Valve) ont concrétisé un accord pour implémenter un système de mods payants.
L’idée est simple : vous pouvez payer des mods créés par des joueurs via une plateforme appelé le workshop. 25% des revenus étaient destinés au moddeur, 30% pour Valve et 45% pour Bethesda. Les moddeurs pouvaient choisir de proposer leurs créations avec un modèle économique de type « pay what you want », où les joueurs pouvaient fixer librement le montant qu’ils souhaitaient payer pour obtenir tel ou tel produit. Cette annonce a fait naître un débat et des voix se sont élevées pour critiquer cette initiative.
Tout d’abord, les joueurs se sont insurgés contre le fait que les mods ne disposaient pas de systèmes d’avis, afin de pouvoir juger de leur qualité. De plus, le contenu n’étant pas crée par l’éditeur lui même, les contrôles qualités n’étaient pas à la hauteur du contenu officiel. De plus, le fait de ne reverser que 25% des revenu était en complète contradiction avec le discours d’aide aux moddeurs. Dernier point, avec 18 mods aux lancements contre 25000 mods gratuit, les joueurs ne voyaient pas l’intérêt de passer par la case “achat”. Ce cas est extrêmement intéressant d’un point de vu de gestion de communauté puisque cette dernière n’a pas été consulté avant la mise en place de ce service.
C’est pourquoi, quelques jour après son lancement, la boutique de mods payants a été fermée et les joueurs ayant mis la main à la poche remboursé. Valve à très vite fait volte-face et présenter ses excuses à ses clients via un communiqué de presse dont voici un extrait :
Extrait du communiqué de presse
“Nous pensons que les développeurs de mods sont simplement des développeurs. Nous adorons le fait que Valve donne plus de choix à la communauté pour choisir leurs moyens de rémunération, tout en laissant le choix aux joueurs. Nous sommes à leur écoute et nous ferons des changements si nécessaires.”
Vu le fiasco et la réponse de son partenaire, Bethesda a emboîté le pas :
“Même si nous avions les meilleures intentions, les retours ont été clairs : la communauté ne veut pas de cette option. Votre soutien signifie tout pour nous, et nous vous avons écouté. Il y a des choses que nous pouvons contrôler, et d’autres non. Nous croyons toujours que notre communauté est la mieux placée pour savoir ce qu’elle veut, et elle décidera comment le modding devrait fonctionner.”
L’affaire aurait pu en rester là, mais certaines idées ne veulent tout simplement pas mourir. C’est ainsi qu’en 2017, Bethesda revient à la charge avec une nouvelle proposition : le « Creation Club ». L’idée est assez similaire puisqu’il s’agit de faire passer les joueurs via une monnaie virtuelle et d’effectuer un contrôle qualité opéré par l’éditeur. Mais là encore, l’opération coince pour l’éditeur.
La communauté Bethesda pas contente et abusée
La communauté a l’impression de se faire imposer un modèle économique dont elle ne veux pas, d’autant plus que la communauté attend en priorité des réponses sur des problèmes techniques bien plus important à leurs yeux. De plus, Bethesda est en contradiction par rapport à son discours de 2015.
Ayant annoncé qu’ils avaient écouté la communauté, ils ont abusé de la confiance de leurs clients. Il n’y a qu’à regarder les réactions des joueurs sur les pages Facebook de la marque pour se rendre compte de l’impopularité de cette mesure. Par exemple, voici un extrait du message d’un client se plaignant et argumentant à ce sujet :
“Je suis une gameuse passionnée qui achète ses jeux (contrairement à d’autres) et quand je vois votre entêtement à vouloir faire payer les mods je n’ai pas l’impression d’être récompensée pour cet effort. J’ai commencé à utiliser les mods en 2004 sur TES III Morrowind : à l’époque les moddeurs et traducteurs étaient motivés par la passion, par amour du jeu et par la volonté de donner vie à un monde fabuleux. Pas par appât du gain.
Mais aujourd’hui c’est indécent aux yeux de certains, c’est même une qualité d’avoir les dents longues. De plus, vous faites miroiter aux yeux des moddeurs l’illusion de pouvoir gagner de l’argent grâce à leur travail. Certains, naïvement, doivent déjà s’imaginer pouvoir en vivre alors qu’ils ne seront même pas payé au coût du travail auprès d’un studio de développement.”
Cette cliente met en avant un point intéressant en parlant du fait de mettre à profit la communauté pour créer du contenu. Si l’idée est louable, la limite entre participation et utiliser le travail d’autrui à moindre coût à visiblement été franchi. Dommage de voir que le débat reste fermé puisqu’il n’y a pas de réponses concrète de la part des community managers sur ces questions. Il est vrai qu’il est toujours compliqué de discuter d’un sujet qui enflamme une communauté, surtout quand il s’agit d’un sujet épineux touchant à la monétisation.
On imagine aisément que la ligne directrice a été d’éviter un maximum le sujet, puisque depuis l’annonce du création il y a un an, la page Facebook de Bethesda France ne l’a mentionné que 2 fois. Pour conclure, nous pouvons dire que le silence n’est pas une solution dans ce cas.
Le silence n’a jamais été la solution à un problème
Des solutions existent, à commencer par le fait de faire un travail d’écoute en amont, même si la décision de lancement d’un produit ne dépendent pas des équipes communautaires. Il incombe donc aux chefs de produit d’impliquer les retours clients afin de s’améliorer. Le fait de revenir une deuxième fois avec un concept dont les joueurs ne voulaient pas était clairement un risque beaucoup trop grand.
Quand le street marketing va trop loin
En guise de digestif, je vous propose 3 courts exemples bonus autour de la thématique du street marketing, afin de conclure ce dossier en beauté.
Pour la sortie du jeu, Mercenaries 2 : World in Flames, l’éditeur Electronics Arts avait décidé de convertir une station essence en baraquement militaire et de faire le plein gratuitement aux gens.
Ce à hauteur de 40 000 dollars au total. Vous voyez venir le problème ?
Une affluence monstrueuse, ce qui a conduit à des bouchons partout dans un quartier de Londres avec des retards au travail pour les habitant du quartier.
Des hommes politique s’en sont mêlés, discréditant l’action promotionnelle et demandant à EA de s’excuser publiquement.
Moralité : une campagne marketing pouvant ramener du monde c’est bien… mais trop de monde et vous courrez à la catastrophe si vous n’êtes pas préparer
En voulant créer le buzz à tout prix, Ubisoft a mis la vie d’une personne en danger. Afin de promouvoir la sortie du jeu Splinter Cell Conviction, un comédien déguisé en personnage du jeu débarque ensanglanté et armé d’une arme factice dans un bar.
Problème : les civils n’ayant pas compris qu’il s’agissait d’une campagne promotionnelle, ont appelé la police qui ont tout simplement failli ouvrir le feu sur le comédien.
Plus de peur que de mal mais on pouvait facilement anticiper et voir que cela aurait pu tourner au drame. Cela représente bien une des limites du street marketing quand on ne mesure pas suffisamment l’impact des actions déployées.
A trop vouloir en faire et à chercher de l’attention coûte que coûte , on risque gros et on se retrouve au final avec la police qui débarque.
Toujours dans le thème de la campagne de mauvais goût, Capcom avait frappé fort pour la sortie de son jeu Resident Evil 6. Ils ont tout simplement installé une boucherie éphémère au “Smithfield Meat Market” de Londres, qui proposait de la “viande humaine”, ou du moins qui ressemblait à de la viande humaine.
Il s’agissait bien évidemment de viande classique, mais ayant la forme de parties du corps humain (bras, main, buste et même pénis). Là ou c’est ironique et d’un goût douteux vous en conviendrez, c’est que l’argent récolté devait être reversé sous forme de don à l’association « UK’s Limbless Association to help amputees” pour les personnes amputés.
On peut au moins se consoler en se disant que la viande a été écoulée très rapidement et que cela était en fait pour la bonne cause. Encore une fois, les moyens mis en place étaient discutables, et le fait de susciter la surprise à tout prix a trop bien fonctionné, ce qui a alerté le public qui n’était pas au courant qu’il s’agissait une opération marketing.
En conclusion
Au final, comme dans d’autres domaines, la gestion de crise dans le jeu vidéo est une activité qui demande d’anticiper un maximum les éventuels problèmes. Notamment ceux qui pourraient survenir dans le plan de communication d’un jeu. A ce titre, les acteurs de ce secteur ne sont jamais à l’abris d’une erreur de communication.
Un couac peut survenir pour de nombreuses raisons (erreur individuelle, imposer une décision à sa clientèle…), même si comme nous venons de l’évoquer, le bon sens peut empêcher bon nombre d’erreurs dramatiques d’être commises. Chaque projet est différent et requiert une stratégie adaptée.
Néanmoins, comme nous l’avons évoqué dans cet article, il existe des solutions à privilégier pour éviter le pire. Connaître le secteur, la clientèle et les erreurs commissent par d’autres dans le passé et prendre le temps de la réflexion, c’est s’assurer d’éviter un grand nombre de pièges qui peuvent être très coûteux.
Ce qui est certain, c’est que cette problématique n’est pas prêt de s’arrêter. Il est à parier que l’avenir nous réserve d’autres exemples de gestion de crise à analyser.
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J’espère que cet article vous aura plu, et je vous donne rendez-vous pour la suite et dernière partie de ce dossier, qui portera sur les “Les déception et reproches à la sortie du jeu”.