La gestion de crise touche tous les domaines et le community manager est souvent en première ligne face aux critiques.
L’industrie du jeu vidéo n’échappe pas à la règle, pire les “bad buzz” ou chez nos amis anglophone “shitstorm” sont surement plus nombreuses et virulentes qu’ailleurs. Nous allons donc décortiquer ensemble les spécificités de cette industrie pour comprendre pourquoi ses crises sont aussi violentes et récurrentes, les raisons de leur apparitions, et les méthodes utilisées par les équipes de communication pour en sortir.
Ceux qui suivent l’actualité gaming doivent déjà se remémorer de certains cas d’école en terme de gestion de crise. Le community manager dans le gaming n’a pas la tâche facile quand surviennent des retards annoncées sur des dates de sorties de jeux.
L’industrie du jeu vidéo a cette particularité que les annonces lors de certains événements mondiaux comme l’E3 (Electronic Entertainment Expo) sont suivi par des milliers d’amateurs et de journalistes sur place.
Le but est simple pour les éditeurs et constructeurs : montrer leur supériorité sur les concurrents et présenter les prochains produits phares de leur catalogue pour les années à venir.
C’est l’occasion de l’année pour les acteurs du marché de réussir à se démarquer et d’assurer leur communication et les pré-ventes de leurs prochains titres.
Les trailers sont décortiqués par une horde de fans et tous les médias spécialisés proposent des analyses complètes durant ces événements. Pour vous donner une idée de ce rendez-vous qu’on a tendance à appeler “la grande messe du jeu vidéo”, en 2004, lorsque Nintendo clôture sa conférence avec une surprise pour finalement annoncer un tout nouveau Zelda, c’est tout une assistance de journalistes qui devient complètement folle. L’annonce est un succès et la “hype” autour d’un jeu qui ne sortira que 2 ans plus tard est déjà assurée.
L’E3 et les autres événements comme la Gamescom ou le Tokyo Game Show ont la faculté de faire et de défaire des réputations. Mais qui dit succès implique également un grand nombre d’échecs et de controverses. Pour cette étude de cas, j’ai décidé de répartir les différents exemples de crises selon 3 catégories :
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Les produits retardés
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Les « Bad Buzz » et erreurs de communication
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Les déceptions et reproches entre l’annonce et la sortie du jeu
Chaque partie fera l’objet d’un article sur le journal du community manager. Nous commençons dès maintenant avec la première d’entre elles.
Le cas Final Fantasy XV
C’est une chose assez banale dans cette industrie, de voir que la date de sortie d’un jeu a été repoussée. On parle même « d’arlésienne du jeu vidéo” pour les jeux repoussés constamment depuis des années. Cela peut arriver pour différentes raisons (rachat de studio, changement de direction artistique ou de gameplay…).
Comme nous le verrons plus tard, cela a souvent des conséquences sur la version finale du jeu, qui se retrouve souvent incohérente par rapport au projet initial.
S’il ne s’agissait que du retard, cela irait encore, mais après plusieurs année à être repoussé, ce type de production font souvent face à une critique extrêmement véhémente de la part de la presse.
En effet, les journalistes auront tendance à être plus pointilleux lorsqu’un produit a été en développement plus longtemps qu’il n’aurait dû. Ainsi, lorsque final fantasy versus XIII est annoncé en 2006 à l’E3, tout le monde s’attend à une sortie dans les 3 prochaines années.
Les équipes de développement ayant rencontré d’importants problèmes de production liés à l’architecture de la console PS3, cela obligea l’éditeur japonais Square Enix à repousser progressivement la date de sortie du jeu, puis d’annoncer que ce dernier sortira finalement sur PS4 sous le nom final de Final Fantasy XV. Ainsi, presque tout du projet initial a été revu au cours du développement, que ce soit le moteur du jeu, les mécaniques de jeu ou même l’histoire.
Final Fantasy XV est finalement sorti le 29 Novembre 2016, soit après 10 ans d’attente.
Comme vous pouvez vous en doutez, les attentes des fans et de la presse ont aussi évolué en 10 ans. C’est pourquoi la réception du jeu à été assez médiocre, notamment à cause de l’ensemble des problèmes que nous venons d’évoquer. Nous allons voir comment les équipes réagissent à ce type de problème et quelles erreurs elles commettent. La plupart du temps, les studios ont la fâcheuse tendance de ne pas communiquer du tout sur l’avancement du projet.
Cela peut se comprendre, car si les équipes marketing se précipitent, elles risquent de montrer au public et à la presse des brides du jeu toujours en développement, signifiant qu’il est amené à évoluer. Cela peut ainsi accroître la grogne de l’audience. Pour reprendre le cas de Final Fantasy XV, le réalisateur du jeu, Hajime Tabat est mis en avant au cours d’explications mensuelles sur le développement du jeu, avec un concept de mise à jour appelé ’Active Time Report”. Même si l’intention est louable, cela n’a fait qu’accroître les doutes des joueurs sur ce que sera vraiment le produit final. De plus, les justifications sur le retard se faisaient de plus en plus hasardeuses.
Pour achever un développement chaotique qui n’en avait pas besoin, les joueurs ont commencé à se plaindre sur ces mises au point, déclarant qu’il aurait été préférable de se concentrer exclusivement sur le développement plutôt que de perdre du temps à informer les consommateurs. Ajouté à cela la mise en place d’une démo catastrophique qui a dû être mise à jour, et vous obtiendrez un énorme fiasco en terme de communication.
A ce sujet, un rédacteur sur le site “Cooldown” écrivait : “Depuis cet été, pas une semaine passe sans que de nouvelles vidéos ou de nouvelles informations tombent sur le prochain FF et l’annonce du report de sa date de sortie a fini de me mettre en PLS : avant, j’attendais la sortie de FFXV simplement pour y jouer, désormais je l’attends pour en finir avec cette communication que je considère contre-productive.”
Même si Square Enix avait les meilleurs intentions du monde pour calmer sa fan base, cela n’a fait qu’empirer le problème. C’est la découverte et le mystère qu’enveloppent un jeu, qui font aussi partie de ses plaisirs.
Divulguer le moindre détail présent dans une oeuvre culturelle pourrait gâcher la surprise à de nombreux clients. De plus, cela peut passer par un manque de certitude quand à la qualité final du produit.
Afin de paraître serein et confiant, il est préférable de ne pas avoir à se justifier en permanence, sous peine d’éveiller les soupçons de ses clients. Ainsi, quand Rockstar communique sur le lancement de l’un de ses jeux, il le fait grâce à un trailer mis en scène et deux trailers explicatifs avec une voix off, c’est tout.
Pas besoin de noyer le joueur sous des montagnes d’explications et de justifications. En bref, Il s’agit donc de trouver le juste milieu entre absence total de communication et justification omniprésente, qui risque également de nuire à la réputation du jeu. Pour reprendre le dicton anglais qui illustre parfaitement ce cas : « Less is more » qui se traduirait par : « La concision est préférable à la verbosité ».
Le jeu vidéo Star Citizen
Passons maintenant au jeu qui a fait énormément parlé de lui depuis son annonce : “Star Citizen”, qui est un cas d’école en la matière.
Il est encore trop tôt pour proposer une analyse complète sur le sujet, car le jeu est toujours en développement, mais nous pouvons d’ores et déjà en retirer de précieuses leçons.
Star Citizen est actuellement développé par Cloud Imperium Games, le studio de développement fondé en 2011 par Chris Roberts.
Ce studio est connu pour avoir créé les jeux Wing Commander. Star Citizen est annoncé le 10 octobre 2012 et profite d’un système de financement participatif.
A la date du 19 mars 2018 il a collecté plus de 180 millions de dollars, ce qui le classe en première position des projets de financement participatif en terme de fond collecté.
Star Citizen est parmi les jeux les plus cher à développer de tous les temps.
Que les joueurs râlent quand leur jeu préféré est retardé est une chose, mais quand ces derniers ont investi dans le financement du projet, cela a nettement plus d’impact.
Des « shits storm », l’éditeur de Star Citizen et son créateur en particulier en ont subi un certain nombre ces dernières années. Citons par exemple l’emprunt effectué à une banque en échange d’une garantie assez inacceptable pour les fans : la cession de la propriété intellectuelle du jeu.
Ainsi, si la dette n’est pas remboursé le jeu deviendrait directement la propriété exclusive d’une banque. Autre exemple, la mise en ligne de pack pour les joueurs ayant déjà financé le projet, comprenant la possibilité d’acheter des vaisseaux pour une somme total de 15000 dollars. Ces deux exemples ont suscité de vive réactions dans la presse, et poussé la société de Chris Roberts à revoir sa communication. Cloud Imperium demeure en l’état peu loquace sur les dépenses réelles du studio. Ce chiffre mérite donc quelques éclaircissements quant à ses sources.
Cas assez rare pour être cité, c’est ici le capitaine du navire lui même qui est directement mis en cause par les individus ayant investi de l’argent dans le projet. Mais ce sont également par les anciens employés ayant décidé de quitter la navire. Ainsi, quand ce dernier est obligé de répondre directement, c’est toute l’équipe de communication qui panique, car une erreur de communication pourrait s’avérer désastreuse pour le projet.
Contrairement au précédent exemple, le contexte et la stratégie de communication est tout autre. Le public n’attaque pas seulement le projet, mais le patron du projet lui même. Dans ce cas, difficile pour un Community Manager ou un Social Media manager de se défaire d’une telle situation de crise, car ils sont souvent en fin de chaîne de la communication.
Néanmoins ce cas est extrêmement intéressant car il met en avant la situation intenable de ce type de poste dans un tel projet. En effet, impossible pour les équipes de communication de réagir pour calmer les foules sous peine de renforcer la polémique. Le même cas s’il fallait laisser l’exclusivité de la parole au CEO car cela pourrait aboutir à des débordements, impossible à contenir par la suite.
La solution privilégiée ici réside dans le fait d’éviter de parler directement de certains sujets. On esquive la polémique, pour se concentrer sur d’autres points. Loin d’être efficace, cette méthode est pourtant l’unique option dans certains cas. Beaucoup de personnes travaillant dans le community management se retrouve dans cette position. Subissant les choix stratégiques de production et devant communiquer sur des points secondaires, ils doivent jongler entre des polémiques de premier ordre, et des annonces officielles communiquées par le management.
Ces mesures d’évitement peuvent tenir un temps, mais détériorerons à la longue la relation entre les consommateurs et la marque. D’autant plus que ce type de management s’accompagne le plus souvent d’une modération agressive, dernière solution quand le dialogue est rompu.
Le jeu vidéo Beyond Good and Evil 2
Le dernier exemple que nous allons analyser est surement ce qui se rapproche le plus de l’antithèse de la communication de Star Citizen. Au départ de cet exemple, il y a un jeu : Beyond Good and Evil. Jeu d’action-aventure crée par Michel Ancel et édité par Ubisoft en 2003.
Avec le temps, ce dernier a obtenu une réputation de jeu culte et nombreux étaient les joueurs à attendre une suite. Le projet a été initialement officialisé aux UbiDays de 2008.
Mise à part des personnalités d’Ubisoft qui rappelaient que le projet n’avait pas été abandonné, les joueurs n’avait rien de concret, jusqu’en 2017. A l’occasion de l’E3, un trailer est présenté, et l’engouement repart.
En février 2018, Michel Ancel, par le biais du site web officiel du jeu, demande auprès de la communauté de joueurs, quels types d’environnements souhaiteraient-ils découvrir en explorant l’univers de Beyond Good & Evil 2. Un autre trailer est présenté à l’E3 2018, présentation durant laquelle fut annoncé le partenariat d’Ubisoft avec Hit Record, une plateforme permettant à tout un chacun de déposer du contenu (musique, graphiques…) que les développeurs pourraient être à même d’intégrer au jeu. La stratégie de contenu choisi pour ce produit et envoyé aux community managers, a été d’impliquer un maximum les joueurs dans le processus de création.
De plus Michel Ancel a lancé dans la foulé la création du “Space Monkey Program” qui est destiné à informer les joueurs régulièrement sur les progrès. Il sert également à répondre aux questions des joueurs, via un community developer (un des postes équivalent de community manager chez Ubisoft). C’est d’une efficacité redoutable car même si le jeu qui est loin d’être sorti (la première bêta disponible fin 2019) il dispose déjà d’un embryon de communauté qui peut d’ores et déjà suivre l’évolution du développement et interagir avec les équipes. Contrairement au cas Final fantasy XV, cette stratégie fonctionne car le projet est reparti de zéro.
A aucun moment les équipes de communication d’Ubisoft n’ont laissé croire que le projet actuel repose sur les premières versions de 2010. Avec ce “reboot”, les joueurs ont été beaucoup plus enclin à la patience et la compréhension vis à vis des longueurs du développement. On pourra tout de même reprocher un manque d’activité sur les réseaux sociaux, étant donné que les plateformes sociales du jeu ne sont que très rarement alimentées de nouveaux contenus.
En conclusion
Au final comme dans d’autres domaines, la gestion de crise dans le jeu vidéo est une activité qui demande d’anticiper un maximum les éventuels problèmes qui pourraient survenir dans le développement d’un jeu et à ce titre, les retards sont un des risques les plus probables.
Les équipes de communication doivent alors l’intégrer dans le stratégie de contenu, en s’efforçant d’imaginer tous les scénario possible et d’imaginer des solutions pour détourner la communauté de ce problème, tout en l’informant des avancés.
Chaque projet est différent et requiert une stratégie adaptée. Néanmoins, comme nous l’avons évoqué dans cet article, il existe des solutions à privilégier et d’autres à contourner pour éviter le pire. Ce qui est certain, c’est que cette problématique n’est pas prête de s’arrêter et il est à parier que l’avenir nous réserve d’autres exemples de gestion de crise à analyser.
J’espère que cet article vous a plu et je vous donne rendez-vous pour la suite de ce dossier, qui portera sur les “Bad Buzz” et autres erreurs de communication.